Cette année la Société des arts technologiques souffle ses 25 bougies! Pour célébrer cet anniversaire de quart de siècle, la SAT vous invite à 5 jours de festivités sur ses 4 étages, avec des expériences immersives et des party dans le dôme, des expositions, des installations, des ateliers, des conférences et des soirées sur la terrasse.
société des arts technologiques
fondée en
1996
Nini et la SAT : 25 ans de croissance visionnaire
Rédaction et propos recueillis par Alain Brunet. Photos: L. Labat
Opiniâtre, battante, rieuse, créatrice et entrepreneure visionnaire, Monique « Nini » Savoie a ouvert les portes de la Société des arts technologiques à une nouvelle génération d’artistes et chercheurs à l’ère du numérique.
Consacrée Bâtisseuse de la cité par la Ville de Montréal en 2012, Chevalière des arts et des lettrespar la France en 2018, récipiendaires des Mercuriades en 2021 pour ses qualités de leadership et comme femme d’exception, notre Nini a largement contribué à faire mousser les arts numériques ici comme ailleurs.
Dans le contexte du 25 anniversaire de la SAT, sa directrice générale et artistique sortante est conviée à y identifier succinctement les moments-clés de son parcours, pour le plus grand intérêt des artisan.e.s du nouveau cycle qui s’amorce.
L’inspiration et le coffre à outils
« En 1990, je revenais de Monterey, Californie, où j’avais assisté à la deuxième conférence TED2. Ce séjour fut déterminant pour ce qu’il advint de ma vie. Je plongeais alors dans la culture et ses recoins les plus exploratoires, ceci incluant les musiques d’avant-garde, la création électroacoustique, les environnements immersifs audiovisuels, bref ce vaste ensemble que l’on nomme aujourd’hui les arts numériques. Je me suis trouvée au coeur d’une cohorte de pionniers avec ma première œuvre interactive Blanc de mémoire, réalisée en 1990.
« Mes années au Festival de Théâtre des Amériques (FTA) m’apprirent les rudiments de la production et de la diffusion, le programme de Gestion des arts aux HEC complétaient ma boîte à outils. J’étais ainsi équipée pour faire naître une institution vivante, synergétique, en phase parfaite avec son époque. »
Gestation et naissance de la SAT
« La SAT est née par une nuit de juin 1996 (et c’était une fille!), des suites du Symposium international des arts électroniques – ISEA95 Montréal, symposium que j’avais codirigé en 1995 avec Alain Mongeau -fondateur et directeur artistique de MUTEK. Réunis à la Biosphère pour l’ouverture, nous avions accueilli les précurseurs du numérique, 1200 délégué·e·s internationaux, nous avions inauguré 140 installations interactives en différents lieux tels que l’école Cherrier, le Musée d’art contemporain, le Spectrum etc. Nous avions planté le drapeau au sommet de Montréal, désormais à l’avant-garde d’un mouvement international qui n’a cessé de grandir depuis.
« La SAT allait naître de l’international et il fallait lui trouver un ancrage local. Nous nous disions être condamnés à montrer des formes apparemment abstraites, à parler d’œuvres interactives et transdisciplinaires. Nous logions alors au 4e étage du 305 Sainte-Catherine Ouest, puis nous avons déménagé au 6e pour finalement louer le rez-de-chaussée, autrefois occupé par une banque – et aujourd’hui par Spectra et Evenko. Il fallait un ancrage, un lieu où toutes ces formes pouvaient se retrouver et aussi accueillir les tournées internationales. Au rez-de-chaussée, nous pouvions donc compter sur un lieu public, une vitrine, et ce lieu se développerait dans une pensée circulaire : recherche, création, production, formation, tournée, archives, soit un écosystème en 360. »
La période laboratoire
« Lorsque nous avons ouvert ce premier lieu au public, nous avons presque tous failli mourir car nous n’étions que 4 pour faire rouler la SAT qui pouvait déjà accueillir 700 personnes dans sa salle principale et ses premiers programmes de résidence au sous-sol! Ensemble avec Joseph Lefèvre, Bruno Ricciardi-Rigault et, un peu plus tard, Hugues Monfroy, nous avons mobilisé les milieux interpellés par le numérique et géré le succès dès notre ouverture.
« La SAT allait cristalliser une dynamique jusque-là éclatée de la création numérique. Et surtout, y faire naître une génération d’auteur·trice·s. Ce lieu se voulait une infrastructure collective, ouverte à celles et ceux qui n’en avaient pas, un arrêt obligé pour les artistes d’ici et d’ailleurs. Éventuellement des festivals se sont joints à la SAT pour en compléter la programmation durant cette période laboratoire. MUTEK, par exemple, y a fait ses premières présentations, à l’instar du Festival de nouvelle danse et du Festival du nouveau cinéma. »
Le vaisseau amiral accoste sur Saint-Laurent
« En 2001, un avis d’éviction nous obligeait à nous relocaliser, nous déménagions au 1201 Boulevard Saint-Laurent. Auparavant, l’édifice de la SAT était un marché avec une quarantaine d’étals, les Halles Saint-Laurent constituaient le premier marché hors du Montréal fortifié. Lorsque nous l’avons visité, le lieu était habité par des pigeons. Les carreaux des fenêtres étaient cassés, un système d’appoint maintenait le chauffage, l’odeur était nauséabonde… Personne ne voulait financer un tel bâtiment, un tel délabrement! Finalement, la Caisse de la Culture Desjardins prit le risque avec nous. Mais encore fallait-il amener notre “aimable clientèle” dans cet espace jouxtant la place de la Paix, bien mal nommée à cette époque ! »
La pérennisation de la SAT
« C’est avec Benoit Lachambre et son projet d’explorations chorégraphiques -100 rencontres – que nous inaugurions le lieu. La SAT passait du laboratoire à la pérennité avec l’achat de cette bâtisse, un montage financier (Canada, Québec, SAT et ville de Montréal) permettait de réunir 2,4 millions $ à l’époque. Toutefois, le bâtiment ne fut pas développé aussi rapidement qu’on voulait car une salle de billard occupait l’étage au-dessus du rez-de-chaussée. Sous les conseils de Phyllis Lambert, fondatrice du Centre canadien d’architecture, nous avons grandi avec la bâtisse, étage après étage. En 2003, nous reprenions l’étage supérieur et une troisième phase majeure consistait à construire un étage supplémentaire avec l’aide précieuse de Ghyslain Boileau, notre directeur administratif, ont permis de compléter la SAT avec l’inspiration et le regard attentif de notre architecte Luc Laporte. »
La SAT à New York… le 11 septembre 2001
« La SAT participait à Québec New York 2001. On devait y vivre l’apothéose de la création numérique en inaugurant le volet numérique de l’événement. Ce matin-là, la délégation SAT réunissait 27 artistes pour y présenter 14 œuvres. Or, ce qui devait être le plus grand rassemblement de talents québécois jamais organisé à New York s’était effondré le 11 septembre 2001, pour les raisons que l’on sait. Rapatriés d’urgence, les artistes et l’équipe de la SAT furent soudés par cette tragédie historique. Un drame qui aura profondément humanisé la communauté de la SAT et élevé sa compassion dans ses actes et ses choix. »
Un véhicule pérenne dans un Quartier des spectacles naissant
« Je faisais alors partie du comité fondateur du Quartier des spectacles, initié au Sommet de Montréal en 2002 avec le maire Gérald Tremblay, pour lequel j’étais l’une des sherpas. Sachant que les autres formes étaient déjà bien servies dans le Quartier des spectacles naissant, nous ne voulions pas empiéter sur les expertises des autres lieux du secteur, nous voulions plutôt en compléter l’offre. Dans cette foulée, la SAT fut le premier projet tangible souscrivant aux valeurs originelles du Quartier des spectacles. À cette époque, des enjeux m’avaient inspirée : favoriser la mixité sociale, être généreux avec la rue et la communauté, contribuer à la légalisation du skateboard à la place de la Paix à l’initiative du skater Dave Boot (David Bouthillier), etc.
« Outre le Partenariat du Quartier des spectacles, je faisais alors partie de plusieurs conseils d’administration dans le secteur, notamment celui de la Corporation de développement urbain du Faubourg St-Laurent, qui nous a soutenus dans nos démarches de localisation. De plus, nous avons organisé des événements au Café Cléopâtre de concert avec le magazine Urbania, nous nous sommes ouverts à la communauté LGBTQ. Tout ça s’est passé durant une période très grouillante et très bouillante de la vie montréalaise. »
De la Satmobile à la Satosphère
« Montréal était jusqu’alors connue pour ses dômes, le Planétarium, le Biodôme, la Biosphère de Buckminster Fuller, mais aucun de ces dômes n’était destiné à la création artistique. Toutefois, l’artiste Luc Courchesne créait des dômes inversés afin d’y accueillir ses œuvres.
« Inspirée par tous ces dômes montréalais, j’avais dessiné les premiers croquis d’un dôme gonflable et mobile : la Satmobile serait entièrement dédiée à la création numérique et pourrait accueillir un plus vaste public. Ce dôme gonflable partirait en tournée, on pourrait aussi l’installer sur le toit de la SAT. Ainsi, notre Satmobile se rendit au 400e anniversaire de la Ville de Québec en 2008 pour y tenir 17 jours de programmation d’œuvres hybrides d’artistes issus des communautés autochtones et numériques.
« La Satmobile fut finalement le prototype d’une structure immersive permanente, construite sur le toit de la SAT: la Satosphère fut inaugurée en 2011 avec le spectacle Intérieur de la compagnie Kondition Pluriel, avec la collaboration de notre Labo culinaire, intégrant ainsi la danse et l’art, l’art numérique et l’art culinaire dans un grand tout au dernier étage de la SAT : le Sensorium! »
Recherche, téléprésence, formation, projet Satellite
« Dès 2001, nous avons lancé le volet de recherche avec Martin Chartrand comme premier directeur de la recherche. Très tôt, nous avons fait des événements marquants de téléprésence et René Barsalo nous a rejoints dans cette réflexion. L’idée du projet Scènes ouvertes était de relier à distance des salles de spectacle et de pouvoir créer en réseau via le logiciel Scenic. Plus récemment, la pandémie nous a conduits à valoriser la recherche sur les réseaux, et ça a permis la naissance du projet Satellite en 2020. Ce volet virtuel de la SAT continue à se construire aujourd’hui. Très vite, par ailleurs, nous avions réalisé l’importance du transfert des connaissances issues de la recherche. En 2006 , Richard Langevin, ex-directeur du Centre NAD et fondateur de Cyclone, se joignait à l’équipe pour mettre en place le Campus SAT afin d’y enseigner les nouvelles pratiques en création numérique, de concert avec les institutions d’enseignement. »
Le soutien des femmes
« Souvent, je me suis sentie très seule car il y avait très peu de femmes dans le monde des technologies lorsque la SAT fut fondée. Les technologies étaient d’abord du côté de l’économie, on se demandait ce que la culture allait y faire. Notre vision n’était pas entendue, nous étions considéré·e·s comme des pelleteux de nuages. Ce n’était pas évident pour moi. Dans ce contexte la SAT a heureusement pu compter sur un très grand soutien féminin, sans lequel notre projet n’aurait pu croître: Helen Fotopoulos, Rachel Laperrière, Phyllis Lambert, Diane Lemieux, Line Beauchamp, Liza Frulla, Marie-Hélène Falcon, Louise Poissant, Marie Chouinard… Ces femmes de grande qualité m’ont vraiment aidée. Les femmes de ma vie! »
Vers d’autres aventures
« La SAT est d’abord une aventure humaine; les artistes, les équipes et les membres des conseils d’administration qui s’y sont succédés en sont les véritables bâtisseurs. Aux commandes de la SAT depuis 25 ans, je suis heureuse de passer le flambeau à une autre femme, Jenny Thibault! Je vis aujourd’hui entre la campagne et la ville, entre l’Europe et le Québec, mais je reste préoccupée par Montréal et son centre-ville. Ce qui est rigolo, d’ailleurs, c’est que de jeunes jardiniers urbains cultivent mes terres et fournissent les légumes du Labo culinaire. Je continue à nourrir la SAT ! Blague à part, j’aime penser que mon legs se trouve dans la tête et dans la carrière de milliers d’artistes. Et dans l’imaginaire du public. »